“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)
Aux origines de la France
C’est un sujet de controverses depuis plus de deux siècles où le politique et l’idéologie l’emportent souvent sur l’analyse historique. Certains poussent le bouchon jusqu’à affirmer que les États-nations n’existent pas puisque “nous faisons partie d’un même village global”, d’autres font commencer l’histoire de France à la révolution de 1789.
Les programmes d’histoire au collège ont choisi non pas l’oubli, mais le déni : il n’y a aucune référence explicite aux origines de notre pays. Comme dans l’affaire Dreyfus, « la question ne sera pas posée » !
Pourquoi ? Parce que la carte de la France, donc de ses frontières, n’était pas la même au VIe siècle qu’aujourd’hui. La belle affaire ! La photo que j’ai mise en tête de ce bloc-notes est la mienne dans mes premiers mois. Comment ! Vous ne me reconnaissez pas ? J’ai eu l’occasion de la montrer cet été à ma mère quelques jours avant qu’elle ne décède. Elle eut un sourire. Eh oui, ce vieux monsieur de 66 ans était bien son fils, le même que sur cette photo que j’ai toujours connue dans sa chambre. Je regrette que tous les pisse-froid et les atrabilaires n’aient pas un sourire attendri devant la carte du regnum francorum, du royaume des Francs, qui aurait pu disparaitre comme tous les royaumes qui l’entouraient, mais qui, au contraire, est devenu le plus ancien État d’Europe. Le géographe Vidal de La Blache, dont les cartes murales ornaient les salles de classe de la IIIe République, l’avait exprimé dans une formule devenue célèbre : « Notre pays est sorti plus tôt que d’autres. Il est un de ceux qui ont pris le plus anciennement figure ».
Rappelons que l’histoire est celle des hommes (c’est-à-dire de l’espèce humaine comme le précise le dictionnaire de l’Académie française). Elle est différente des sciences de la vie et de la terre. Au XIXe siècle, l’historien Jules Michelet écrivait que la France « doit être considérée comme une personne qui vit et qui se meurt » et Jaurès, dans sa lettre aux instituteurs, que les élèves devaient « connaître la France, sa géographie et son histoire : son corps et son âme ».
Notre propre histoire commence à notre naissance, et même à notre conception, et non pas à une date choisie subjectivement de notre existence. Imagine-t-on un candidat envoyant un curriculum vitae sans mettre sa date de naissance, quels que soient sa situation familiale, son cursus universitaire, son expérience professionnelle ?
Pour ma part, je me range humblement à ce qu’en disait le général de Gaulle, qui non seulement connaissait parfaitement le sujet, mais avait lui-même contribué à cette histoire, à savoir : « L'histoire de France commence avec Clovis, roi des Francs qui donnèrent leur nom à la France » (référence dans mon cours).
Observons donc les premiers pas des Mérovingiens comme j’ai le bonheur de le faire avec mes petits-enfants. Tout d’abord l’extraordinaire volonté de Clovis de conquérir et d’unifier le territoire gallo-romain, peuplé d’environ cinq millions d’habitants, avec seulement quelques dizaines de milliers de soldats, selon l’historien Bruno Dumézil. Encore plus significatif, la décision de Clovis de réunir, sans l’aval du pape, les évêques de son royaume devenu franco-gallo-romain. Il ne s’agit pas pour le roi des Francs d’intervenir dans le domaine religieux, mais de s’appuyer sur l’Église catholique pour affermir son autorité à une époque où les élites gallo-romaines sont chrétiennes. Les évêques le qualifieront de “Fils de l’Église catholique”, expression qu’utilisent les papes pour désigner la France depuis le XIXe siècle comme “Fille aînée de l’Église”. Les successeurs de Clovis nommeront les évêques du regnum francorum et les réuniront en concile, montrant la continuité de la première des dynasties ayant régné sur la France. Citons à nouveau le général de Gaulle : « Mon pays est un pays chrétien et je commence à compter l'histoire de France à partir de l'accession d'un roi chrétien qui porte le nom des Francs ». Comment ne pas éprouver une certaine nostalgie entre la genèse de notre histoire incarnée par un homme, Clovis, que l’historien Pierre Chaunu qualifiait de « rassembleur » (le mot catholique vient du grec et du latin et signifie : universel), et notre époque décrite par le politologue Jérôme Fourquet dans un livre, devenu un best-seller, intitulé L’Archipel français !
L’histoire est celle des hommes. Il est donc normal comme l’écrivait l’historien Marc Bloch dans L’Étrange défaite, de « vibrer » et de lire avec « émotion » les récits de l’histoire de France. C’est pourquoi je reprends volontiers à mon compte, comme mon collègue Jean-François Chemain, cet impératif de la philosophe Simone Weil dans L’Enracinement : « Il faut donner à la jeunesse quelque chose à aimer, et ce quelque chose, c’est la France ».
M. de Fraguier
Aubervilliers, septembre 2023
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