“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)
« Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ? ». La formule est célèbre. En mai 1958, le général de Gaulle tient une conférence de presse en pleine crise de régime. La IVe République est incapable de trouver une solution à la guerre d’indépendance dans les départements d’Algérie. Celui qui fut le chef de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale s’apprête « à assurer les pouvoirs de la République » (se reporter au documentaire dans le cours sur l’histoire de l’Algérie française).
J’ai exactement le même âge qu’avait le Général lorsqu’il prononça cette "petite phrase". Là, s’arrête toute forme de comparaison. Je m’apprête, non pas à devenir un dictateur (même si j’ai appris aux élèves ce qu’était un autocrate !), mais à prendre plus tranquillement ma retraite. À la fin du mois, je quitterai donc le collège Saint-Joseph d’Aubervilliers où j’ai enseigné pendant dix ans. De Gaulle commençait une décennie comme président de la Ve République qu’il avait porté sur les fonts baptismaux (se reporter à son portrait).
Sans outrecuidance, il y a néanmoins un point commun entre nous deux : la foi catholique. Charles de Gaulle fut le seul président à avoir fait installer, à ses frais, un oratoire à l’Élysée. La messe, réservée à sa famille, y était célébrée par son neveu François, missionnaire en Afrique. Il dut toute sa vie accorder ses actes avec l’enseignement de Jésus. N’est-ce pas le cas de tous les chrétiens ? Je l’ai fait en portant régulièrement les élèves qui m’étaient confiés dans la prière et en témoignant de mes convictions religieuses par l’attention que je leur portais individuellement.
Il y a quarante ans, je participais à l’une des plus importantes manifestations dans l’histoire de la Ve République, celle qui mit fin à la tentative des partis de gauche de supprimer l’enseignement catholique. J’avais défilé derrière la bannière du collège Saint-Martin-de-France à Pontoise où j’avais été pensionnaire de la sixième à la terminale. Je dois beaucoup à l’enseignement catholique, aux prêtres de l’Oratoire, à mes professeurs. Comme Georges Pompidou (lire mon bloc-notes intitulé : In memoriam) ou Albert Camus, je me souviens de leurs noms, de leurs visages, de leurs tics de langage.
Lorsque j’ai décidé d’enseigner, c’était une vocation tardive. Sans hésitation, j’ai choisi l’enseignement catholique en Seine-Saint-Denis pour transmettre à mon tour ce que mes maîtres m’avaient transmis (lire mon bloc-notes intitulé : Transmettre). Bien sûr, St-Jo n’a rien à voir avec Saint-Martin, ses hectares de terrains de sport, son parc, ses maisons comme dans Harry Potter ! Cependant, dans ces deux établissements, le mot catholique a toujours gardé son sens original : du grec katholicos, universel. Leur point commun est que tout élève y a sa place, quel que soit son “niveau”.
J’aurai l’occasion de remercier les élèves pour ce qu’ils m’ont apporté, le 21 juin. Ce sera le dernier jour des classes et les élèves se rassembleront pour rendre grâce du dévouement de leurs enseignants. Ce sera aussi la « journée des talents » une bonne occasion d’aborder en culture humaine et religieuse (CHR) la parabole du même nom. À chacun selon son talent, l’important étant de progresser selon ses capacités.
Je ne suis pas l’Empereur, nous ne sommes pas en 1814 et la cour de récréation n’est pas la cour des Adieux du château de Fontainebleau. Ce seront donc des adieux « sans émotion inutile, sans pleurs et sans se dire un mot » pour reprendre les paroles de Général à vendre que chantaient, au siècle dernier, les Frères Jacques. Je songe aussi aux musiciens qui quittent l’un après l’autre leur pupitre en éteignant leur chandelle dans le finale de la symphonie dite « Les Adieux » de Joseph Haydn.
Il ne s’agit pas cependant d’un « Adieu, veau, vache, cochon, couvée ! ». Il ne faut pas, dit-on, passer sa vie à rêver de ce que l’on veut faire et à regretter ce que l’on n’a pas fait ! Mon emploi du temps se remplit pour la rentrée de septembre. Je me suis mis à la disposition du diocèse de Sens où nous nous installons, mon épouse et moi-même, pour notre retraite.
Une nouvelle vie, toujours au service des jeunes, en particulier de nos petits-enfants, tout en gardant un lien avec les élèves : Histoire en cours va se poursuivre, avec son Bloc-notes et sa messagerie.
Ce n’est qu’un au revoir !
M. de Fraguier
Aubervilliers, juin 2024
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