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Le Bloc-notes : « C’est fou tous ces étrangers qui ont fait l'histoire de France » !

“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)

Portrait du cardinal Jules Mazarin par Pierre Mignard (XVIIe s.)




L’année 2023 aura connu en politique deux moments marquants par la contestation et les débats qu’ils ont occasionnés. Tout d’abord, la réforme des retraites. Puis, la loi sur l’immigration, la trentième en 43 ans ! Parmi les sujets de polémique, la place des immigrés dans l’histoire de France.


Au mois de juin, le Musée de l’histoire de l’immigration présentait ses nouvelles collections permanentes après 3 ans de travaux. A cette occasion, les Franciliens ont pu découvrir dans le métro une affiche avec le portrait de Louis XIV et ce commentaire : « Mère espagnole, grand-mère autrichienne.  C’est fou tous ces étrangers qui ont fait l'histoire de France ».


Il n’y avait aucun scoop dans cette publicité racoleuse. Les premiers étrangers à « avoir fait l’histoire de France » sont … les Francs. Summum du paradoxe, ceux qui nient que la France remonte à Clovis (se reporter à mon bloc-notes : Aux origines de la France) sont les mêmes qui affirment sur l’air des lampions que la France a toujours été un pays d’immigration !


Il est même intéressant de remarquer que les trois premières dynasties qui ont régné sur le regnum francorum devenu la Francia puis la France étaient toutes d’origine franque, non seulement les Mérovingiens, mais aussi les Carolingiens et les Capétiens. Mais se sont-ils vus pour autant comme « étrangers » pendant treize siècles ?


Revenons sur l’exemple de Louis XIV.


Sous l’Ancien Régime, c’est le droit du sol qui s’appliquait (le droit du sang n’existant que depuis le Code civil de 1803). Donc les enfants nés en France d’un parent étranger étaient Français en particulier le premier d’entre eux, le roi. À l’image d’une grande partie de nos élèves, les parents et les grands-parents de nos rois formaient ce que nous appelons aujourd’hui des couples mixtes (avec cependant une différence majeure : toutes ces familles étaient européennes et chrétiennes).


Mes élèves de quatrième savent que sur la petite quarantaine (37) de rois capétiens ayant régné de Hugues Capet à Louis-Philippe, du Xe au XIXe siècle, la moitié avait une mère « étrangère ». Je mets des guillemets, car certaines d’entre elles appartenaient à des familles titulaires de fiefs qui furent intégrés par la suite au domaine royal ou au royaume de France. Ces familles suivaient les mêmes objectifs que la Couronne de France, à savoir s’allier entre elles dans une perspective diplomatique ou d’accroissement de territoire. Il n’en demeure pas moins que ces reines d’origine étrangère ont assumé pleinement leur rôle de reine de France (à l’exception, malheureusement célèbre, d’Isabeau de Bavière !). Dans le cas d’Anne d’Autriche (qui était espagnole de naissance, les Habsbourg régnant à la fois à Vienne et à Madrid), son « instinct maternel lui avait communiqué la fibre patriotique, son accession à la régence lui donna le sens de l’État », comme l’écrit l’historien Jean-Christian Petitfils dans son Louis XIV qui est devenu un ouvrage de référence.


Nos communicants en mal d’imagination et surtout en manque de culture historique auraient été mieux inspirés de prendre comme exemple « d’étranger ayant fait la France », le cas de Mazarin. Gulio Mazarini, né à Rome, devient le principal ministre de Louis XIV sous la régence de sa mère Anne d’Autriche. À sa majorité, le roi le maintient à cette fonction jusqu’à la mort de cet étranger devenu Français. Louis XIV aurait-il été ce qu’il a été sans l’éducation reçue de sa mère et du cardinal ministre qui était aussi son parrain ? L’historienne Claude Dulong, qui consacra de longues années de recherches à ces deux Français d’adoption, écrivait : « Anne d’Autriche voulait faire de son fils “le plus grand roi du monde”. Grâce à Mazarin, il le fut ». Cette appellation fut utilisée par Louis XIV lorsqu’il s’adressa à son successeur, le futur Louis XV (fils d’une princesse de Savoie et petit-fils d’une princesse d’Angleterre) : « Mon cher enfant, vous allez être le plus grand roi du monde […] ». Mais avant tout … Français !


Bonne année !


M. de Fraguier

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