“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)
De bon matin, j'ai rencontré le train, de trois grands rois qui allaient en voyage,
[…] L'étoile luit, et les rois conduit, par longs chemins devant une pauvre étable,
[…] Au fils de Dieu, qui naquit en ce lieu, ils viennent tous présenter leurs hommages,
[…] De beaux présents, or, myrrhe et encens, ils vont offrir au bienheureux enfant.
Ces paroles, tirées d’un chant populaire d’origine provençale, La Marche des Rois, s’inspirent de l’évangile de saint Matthieu qui raconte que des « mages venus d’Orient » apportèrent des présents à Jésus après sa naissance. Il en existe de nombreuses variantes, chantées le plus souvent sur une musique composée par Georges Bizet. Il y a cinquante ans, la chanteuse de variété Sheila reprit ce thème dans un de ses plus grands succès : « Comme les Rois Mages en Galilée, suivaient des yeux l´étoile du Berger … ».
Le fait que ce récit ressemble à un conte des Mille et Une Nuits et ne soit rapporté que par saint Matthieu a pu faire douter de sa véracité. C’est une erreur. D’une part, si l’Église catholique s’appuie sur quatre évangiles, c’est qu’ils se complètent les uns les autres. D’autre part, la religion chrétienne n’est pas réservée aux intellectuels, même s’il y a des « docteurs de l’Église ». Historiquement, elle repose aussi sur la dévotion populaire comme l’a rappelé le pape François dans sa dernière encyclique Dilexit nos et lors de sa récente visite en Corse.
Ce récit repose d’ailleurs sur des réalités géographiques et historiques bien connues des élèves de sixième ! En effet, que nous dit cet évangile ? Que des « mages venus d’Orient » ont vu et suivi une étoile ! L’astronomie est une des sciences apparues il y a 5.000 ans dans l’Orient ancien avec les premières civilisations. Le mot « mage » n’évoque pas le monde d’Harry Potter, mais des savants, des sages, à la fois astronomes et astrologues. Ce sont les Sumériens, en Basse-Mésopotamie, qui vont développer le système sexagésimal à l’origine du calcul des heures et des angles en minutes et en secondes. Ils vont représenter le ciel dans un cercle divisé en 12 sections de 30° qui est à l’origine du zodiaque. Ils vont, par ailleurs, utiliser une de leurs (très nombreuses) inventions, l’écriture cunéiforme, pour noter durant des siècles sur des tablettes d’argile le résultat de leurs observations du ciel, des étoiles, des planètes et de leurs mouvements. Qu’il y ait eu, il y a deux mille ans, des scientifiques capables d’observer dans le ciel du Moyen-Orient une “Étoile mystérieuse” comme dans Tintin n’a donc rien de surprenant.
L’évangile nous dit encore que les mages « lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. » L’encens et la myrrhe sont des parfums que l’on brûlait dans les temples pour le premier et lors de l’embaumement des morts pour le second. Le commerce de ces résines aromatiques, transportées par caravane depuis le sud de la péninsule arabique vers le Croissant fertile, fera la fortune des Nabatéens. D’où plusieurs hypothèses sur l’origine géographique de ces mages. Probablement la Mésopotamie ou l’ancien Empire perse (Élam, Médie), territoires de naissance de l’astronomie et de l’astrologie. Mais aussi l’antique royaume de Saba (ou de Seba) situé de part et d’autre de la mer Rouge, en Asie dans l’actuel Yémen et en Afrique dans l’actuelle Éthiopie. Deux textes de la Bible hébraïque vont dans ce sens : « Tous viendront de Saba apportant l’or et l’encens » dans le livre du prophète Isaïe et « Les rois de Saba et de Seba feront leur offrande, tous les rois se prosterneront devant lui […] que lui soit donné l’or de Saba » dans le livre des Psaumes (poèmes chantés).
Pourquoi de tels présents à un enfant qui vient de naître ? Ici, nous quittons le factuel pour le symbolisme. À l’instar des autres récits bibliques, il convient de s’attacher à la morale de cette histoire, comme dans une fable. Pour un roi (l’Église catholique fête chaque année le Christ-Roi), quoi de plus adapté que l’or, métal précieux et rare, réservé dans l’Antiquité aux divinités et aux souverains. Jésus-Christ, fils de Dieu pour les chrétiens, mérite qu’on lui offre de l’encens. Mis à mort avant de ressusciter, toujours selon les chrétiens, on comprend le sens de la myrrhe.
Au cours du temps, la piété populaire va compléter le récit évangélique. La tradition va en faire des rois et fixer leur nombre à trois et ils vont se voir attribuer un nom : Balthasar, Gaspard et Melchior. L’Adoration des mages va être un des sujets privilégiés de la peinture occidentale et de l’iconographie orientale. Symboliquement, chacun des mages représente les trois âges de la vie ainsi que les trois continents connus dans l’Antiquité et au Moyen Âge, d’où leur couleur de peau et leur costume (regardez la procession de l’Épiphanie à Aix-en-Provence avec le quiz : les rois mages sur histoire-en-cours.com). Le culte de leurs reliques est attesté depuis le XIIe siècle dans la cathédrale de Cologne en Allemagne, devenue un des lieux de pèlerinage le plus important de l'Occident chrétien. C’est au nom de ces traditions populaires qu’est fêtée l’Épiphanie le 6 janvier, en partageant en famille une galette dans laquelle a été placée une “fève” (traditionnellement une représentation en porcelaine d’un personnage de la crèche) et en proclamant roi ou reine celui qui la trouve.
Cependant, ce n’était pas seulement la curiosité scientifique qui motivait le déplacement de ces mages pour observer, probablement, dans le ciel du Moyen-Orient la conjonction des planètes Jupiter et Saturne dans la constellation des Poissons. En suivant cette “étoile”, ils « ont cherché le Dieu qui est proche de nous, qui nous indique la route » comme le commentait le pape Benoît XVI à l’occasion des Journées mondiales de la Jeunesse (JMJ) à Cologne en 2005 (lire aussi mon précédent bloc-notes, Quaerere Deum, sur histoire-en-cours.com).
Bonne année 2025 sur histoire-en-cours.com
M. de Fraguier
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