“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)
"Que l’esprit de Dieu qui a oint Jésus lors de son baptême vous oigne en ce jour afin que vous exerciez votre autorité avec sagesse."
Autorité et pouvoir
« La justice est une autorité, pas un pouvoir. Je ne laisserai pas la justice devenir un pouvoir », aurait affirmé le président de la République lors d’un conseil des ministres en juillet 2021. Cette distinction entre autorité et pouvoir est étudiée en quatrième. La première Révolution – celle sans violence – qui a eu lieu avant le 14 juillet 1789, lorsque les états généraux se déclarent Assemblée nationale, introduit en France le partage du pouvoir entre l’exécutif et le législatif. Cependant, la justice est aussi un pouvoir selon la théorie de la séparation des pouvoirs développée dans l’Antiquité par Aristote et reprise au XVIIIe siècle par Montesquieu. Définie dans notre actuelle constitution comme une autorité, la justice n’en est pas moins rendue « au nom du peuple français » qui est souverain.
Cette distinction républicaine qui place le pouvoir au-dessus de l’autorité n’existait pas sous l’Ancien Régime. L’expression « monarchie absolue » ne signifie pas un pouvoir sans limites, mais que les « trois pouvoirs » étaient réunis dans la main du roi, autorité souveraine. Cette autorité, qui plaçait le roi au-dessus de la société des trois ordres, lui était conférée dans une monarchie de droit divin par le sacre.
Tel est le cas du roi Charles III qui vient d’être couronné et sacré. Charles est devenu roi à l’instant même du décès de sa mère, la reine Élisabeth II. En France, sous la monarchie, on annonçait à la Cour : « Le roi est mort, vive le roi ! ». Si le sacre ne fait pas de Charles un roi, il lui donne l’autorité, une légitimité, comme ayant été désigné par Dieu. Dans la Bible, les premiers rois d’Israël reçoivent l’onction de Dieu par l’intermédiaire de Samuel. Charles III a été oint d’une huile sainte provenant du mont des Oliviers, là où Jésus se recueillit avant d’être arrêté et condamné à mort.
Comme pour sa mère il y a 70 ans, si la messe du couronnement a été retransmise par la télévision dans le monde entier, le moment de l’onction, le sacre à proprement parler, ne l’a pas été : c’est une affaire personnelle entre le monarque et Dieu.
Les souverains contemporains du Royaume-Uni n’exercent aucun pouvoir, ils doivent même s’astreindre à ne pas s’exprimer sur des sujets politiques. Cependant, ils sont l’incarnation de l’autorité pour les Britanniques et les pays du Commonwealth. Comment expliquer autrement la considération internationale dont jouissait la reine Élisabeth II ?
Comme l’apprennent les sixièmes, la royauté est apparue en même temps que les premiers États dans le Croissant fertile. Elle était de nature divine : ce sont les dieux qui choisissaient les rois, ce qu’on retrouve dans les expressions pour les désigner : « fils du Soleil » en Égypte, « fils du Ciel » en Chine, « empereur céleste » au Japon.
La messe du couronnement et du sacre de Charles III n’aurait pas dû surprendre les Français. Les rois de France, la plus ancienne monarchie d’Europe, furent sacrés pendant plus de 1.000 ans dans un faste qui n’a rien à envier à la monarchie britannique : du père de Charlemagne, Pépin le Bref en 751, au dernier des frères de Louis XVI, Charles X en 1825. De nos jours, seul le souverain britannique reçoit une onction d’huile sainte : les autres souverains d’Europe ne sont pas de droit divin, mais sont des souverains constitutionnels.
God save the King !
M. de Fraguier
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