“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)
Pèlerins en marche vers Notre-Dame de Chartres
L’évènement en ce début de l’avent, période qui prépare les catholiques à commémorer la naissance de Jésus à Noël, est sans conteste la réouverture au culte de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Si Notre-Dame était, jusqu’à l’incendie qui a ravagé sa toiture, l’édifice religieux le plus visité de France, elle n’est ni la plus ancienne, ni la plus haute, ni la plus vaste, ni la plus riche artistiquement des cathédrales. Vous trouverez sur histoire-en-cours.com un quiz qui vous édifiera sur ce sujet.
Comment regarder, que chercher, que comprendre lorsque l’on est devant puis à l’intérieur d’une cathédrale ? Ce sont les questions que je posais aux élèves du collège Saint-Joseph d’Aubervilliers lors des nombreuses visites que j’ai faites avec eux à la basilique de Saint-Denis.
Le préalable, avant de répondre, est de se mettre à la place de ceux qui vivaient aux XIIe et XIIIe siècle afin d’éviter un péché mortel en histoire, l’anachronisme.
Du Xe au XIVe siècle, l’Europe occidentale connaît un réchauffement climatique qui a pour effet, couplé au défrichement et à des innovations techniques, une augmentation de la production agricole et par voie de conséquence du commerce. C’est la renaissance des villes et l’émergence de la bourgeoisie au sein du troisième ordre de la société. C’est une époque de progrès, d’innovation, tant sur le plan matériel que sur le plan intellectuel : apparition des premières universités, du roman courtois, de la théologie, de la polyphonie …
En ces temps anciens, Dieu était présent à chaque instant et partout. Hommes et femmes se préoccupaient de leur salut, de l’au-delà, du paradis, de l’enfer. Les lieux de culte, églises et abbayes, leurs sculptures et leurs vitraux pour la plupart invisibles à l’œil nu, rendaient gloire à Dieu. Les croyants s’effaçaient devant leur créateur, ou plus exactement comme le soulignait le pape Benoit XVI au collège des Bernardins lors de son voyage apostolique à Paris en 2008 : « C’est ainsi que le travail des hommes devait apparaître comme une expression particulière de leur ressemblance avec Dieu qui rend l’homme participant à l’œuvre créatrice de Dieu dans le monde. »
Dans ce discours devant des représentants du “monde de la culture”, le pape s’était interrogé sur les motivations des moines du XIIIe siècle. Il avait, comme à l’accoutumée, résumé avec force, netteté, précision ce qui pouvait s’appliquer à l’ensemble de la société d’alors : « Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr. »
Au Moyen Âge, le progrès ne se concevait que dans une continuité depuis la création du monde par Dieu, sans rupture, humblement devant les chefs-d’œuvre réalisés par les anciens. J’ai souvent été frappé dans les témoignages des artisans qui travaillaient à la restauration de Notre-Dame par leur humilité. Refaire le plus exactement possible les mêmes gestes que ceux qui avaient été faits il y a huit siècles était pour eux une fierté. (Je ne peux que vous conseiller de regarder sur la chaine KTO les reportages sur « Notre-Dame en chantier ».)
L’humilité est le fondement de toutes les vertus chrétiennes. Pour citer à nouveau Benoit XVI aux Bernardins : « Il faut l’humilité de l’homme pour répondre à l’humilité de Dieu. ». Au XIIe siècle, l’abbé Suger, régent du royaume de France lorsque le roi Louis VII est aux Croisades, qui est à l’origine de l’actuelle cathédrale de Saint-Denis, se fait représenter sur un vitrail allongé au pied de la Vierge Marie. Il ne s’agit pas d’une position de soumission comme l’exprime son contemporain le philosophe Bernard de Chartres dans une formule célèbre : « Nous sommes des nains sur des épaules de géants ». Autrement dit, c’est en s’appuyant sur les connaissances antérieures que l’on peut envisager l’avenir avec confiance.
Les cathédrales étaient bâties sur des durées qui dépassaient les vies humaines. Elles étaient là pour l’éternité et elles sont toujours là. À la différence des constructions civiles et militaires le plus souvent détruites ou modifiées au cours des siècles, les cathédrales nous sont parvenues avec l’essentiel de ce qui fait leur apparence.
La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État en a fait, pour le plus grand nombre, des propriétés de la nation tout en reconnaissant à l’Église catholique le droit d’y célébrer le culte. Au moment où l’incendie a pris dans la toiture de Notre-Dame, une messe y était dite comme tous les soirs.
Aujourd’hui, que peuvent comprendre des cathédrales nos contemporains, quand un Français sur deux affirme ne pas croire en Dieu ? Que signifie un lieu de culte lorsque seulement 2 % de la population se rend en moyenne une fois par mois dans une église pour participer à la messe dominicale ? La France se situe parmi les pays les moins religieux dans le monde. C’est un autre symptôme de ce que la philosophe Simone Weil appelait “la maladie du déracinement” (se reporter à mon précédent bloc-notes : Santo subito !).
Le récent débat sur l’éventualité de faire payer l’entrée de Notre-Dame aux touristes a permis au clergé français de rappeler que les cathédrales ne sont pas uniquement des monuments historiques, mais avant tout des lieux où tout un chacun est libre d’entrer à la recherche de Dieu. Concluons en citant une dernière fois Benoit XVI : « Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. […] L’absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne. Quaerere Deum – chercher Dieu et se laisser trouver par Lui […]. Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure le fondement de toute culture véritable. »
M. de Fraguier, en ce premier jour de l'avent 2024
P.S. L’intégralité du discours du discours du pape Benoît XVI se trouve sur le site du Vatican : https://www.vatican.va/content/vatican/fr.html Voyage apostolique en France : Rencontre avec le monde de la culture au Collège des Bernardins (Paris, 12 septembre 2008)
Et sur le site de la chaine KTO :
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