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Le Bloc-notes : Il faut que tout change pour que rien ne change.

Dernière mise à jour : 27 juin

“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)



Cet aphorisme paradoxal est tiré du roman Le Guépard, écrit dans les années 1950 par le prince sicilien Giuseppe Tomasi di Lampedusa. Il fut adapté par le cinéaste Luchino Visconti, qui reçut la Palme d’or au Festival de Cannes. Il s’agit d’une traduction simplifiée, la plus proche de l’italien étant plutôt : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ». Il renvoie au contexte du roman, l’avenir de l’aristocratie au moment du Risorgimento, l’unité italienne : s’adapter pour survivre, ou rester tel quel avec le risque de disparaître.

 

Cette phrase m’est revenue en mémoire en visitant la très belle exposition qui se tient jusqu’au 20 juillet au Mobilier national à Paris et qui commémore le bicentenaire du dernier sacre d’un roi en France.

 

Qu’est-ce qu’un sacre ? Quelle différence avec un couronnement ?


Je reprends ici brièvement mon cours de quatrième. Depuis l’Antiquité, la cérémonie du couronnement consiste à remettre au roi les insignes de son pouvoir, couronne et sceptre. Le sacre apparait en France lors des changements de dynastie. Le sacre va légitimer celui qui n’est pas fils de roi et qui a pris le pouvoir par la force. Comment ? Par l’onction d’une huile sainte comme pour les rois d’Israël dans la Bible. Ainsi le sacre précède-t-il le couronnement : est couronné celui qui a été choisi par Dieu.


Le premier usurpateur à se faire sacrer, deux fois, est Pépin le Bref, le fondateur de la dynastie des Carolingiens au VIIIe siècle. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, Hugues Capet, fondateur de la dynastie des Capétiens, fera de même au Xe siècle. Pour affermir, consacrer, leur famille sur le trône des Francs, leurs héritiers seront sacrés du vivant de leur père jusqu’à ce que leur dynastie paraisse établie.

 

En 1825, Charles X fut donc sacré et couronné. Était-il un usurpateur ? Non. Il était petit-fils du roi Louis XV, et frère cadet des rois Louis XVI et Louis XVIII. Mais depuis le sacre de son frère ainé en 1775, la France a connu successivement : la fin de l’Ancien Régime, la république, une nouvelle dynastie, celle des Bonaparte, enfin le retour des Capétiens de la branche des Bourbons. La question qui se posa à ce roi, qui avait connu l’exil pendant près de vingt-cinq ans, était : peut-on reprendre les rites multiséculaires du sacre et du couronnement sans tenir compte de tous ces bouleversements ?

 

Charles X va chercher comment ne pas lâcher la proie pour l’ombre. Le rituel de 1825, tout en restant très proche de celui de 1775, prévoit que le roi, avant d’être oint et d’être couronné, prêtera serment de gouverner « conformément aux Lois du royaume et à la Charte constitutionnelle ». C’est le mariage de la carpe et du lapin ! Les Lois fondamentales du royaume rassemblaient les devoirs qui s’imposaient au roi sous l’Ancien Régime, construction empirique, coutumière et séculaire. La Charte était une constitution écrite par Louis XVIII qui chercha à concilier la tradition, une monarchie de droit divin, avec les acquis de la Révolution, en particulier la fin d’une société d’ordres de nature hiérarchique et inégalitaire.

 

La contradiction était trop forte, et Charles X sera contraint d’abdiquer 5 ans plus tard. Après un peu plus de mille ans, c’en est fini du sacre en France, qui a perdu son rôle de légitimation. Il laisse la place à son cousin le duc d’Orléans comme “roi des Français” sous le nom de Louis-Philippe, qui devra lui-même abdiquer 18 ans plus tard. Après plus de huit siècles, c’en est fini de la dynastie des Capétiens sur le trône de France.

 

Deux siècles plus tard, c’est un autre Charles qui sera sacré et couronné selon un rituel très proche de celui des rois de France : Charles III, souverain du Royaume-Uni. Pendant les 70 ans du règne de sa mère, la reine Élisabeth II, ce n’est pas une révolution politique qu’a connue le royaume, mais une évolution des mœurs. Seul souverain européen à être sacré, le roi Charles III a cherché comment actualiser un rituel millénaire sans le modifier sur l’essentiel.

 

Pour utiliser le jargon contemporain, son sacre et son couronnement furent “inclusif”. Alors que le souverain est gouverneur de l’Église anglicane, Église d’État devenue minoritaire, tous les cultes présents dans le royaume étaient représentés. Les principaux participants à la cérémonie représentaient non plus la seule aristocratie, mais les nations du Royaume-Uni et du Commonwealth. L’hommage de tous les pairs du royaume en grande tenue et couronne sur la tête a été remplacé par celui du seul prince de Galles, héritier du trône.

 

Parmi les participants à cette cérémonie se trouvaient les deux successeurs de Charles III : son fils ainé William, prince de Galles, et l’ainé de ses petits-enfants, George, qui officiait comme page de son grand-père.  Nul doute que Charles III a conçu son sacre et son couronnement pour assurer, contre vents et marées, le maintien de la monarchie britannique et de sa dynastie.


« Il faut que tout change pour que rien ne change » !

Pour la première fois, un groupe de Gospel chante un Alléluia à la messe du sacre et du couronnement d’un souverain britannique.

 


Bon été à tous ! Le Bloc-notes reprendra à la rentrée.

 

M. de Fraguier

 

 

Suggestions de lecture pour cet été :

 

Lire ou relire mes 32 blocs-notes que vous pouvez retrouver sur histoire-en-cours.com

 

Les Rois maudits de l’académicien Maurice Druon, dont le premier tome (il y en a 7) est paru il y a 70 ans. Grand succès littéraire comparable à celui de Harry Potter, cette saga historique raconte les péripéties dynastiques dans les royaumes de France et d’Angleterre au XIVe siècle.


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