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Le Bloc-notes : « Dante, Goethe, Chateaubriand … »

“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)

Monument en hommage aux Pères fondateurs de l'Europe

De gauche à droite, Alcide De Gasperi, Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer.

 

Avertissement : amateur de simplification, mieux vaut s’abstenir de lire cette chronique, elle ne parle que de réalités. Comme disait le général de Gaulle, « Il faut prendre les choses comme elles sont, on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités » !

 

 

Lors de sa conférence de presse du 15 mai 1962, le général de Gaulle prononça une de ses fameuses "petites phrases" qui, comme le définit l’Académie française, vise à marquer les esprits sous des dehors anodins : « Je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens, etc. Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute l’Europe dans la mesure même où ils étaient respectivement et éminemment Italien, Allemand et Français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et qu’ils avaient pensé et écrit en quelque espéranto ou volapük intégré ».

 

Le fondateur et premier président de la Ve république exprimait sa position, donc celle de la France, vis-à-vis de l’unification de l’Europe occidentale, le continent étant coupé, à cette époque, en deux par un “rideau de fer” pour reprendre l’expression de Churchill. Le Général plaidait pour une Europe des cultures nationales partagées, comme le comprennent les centaines de journalistes, dont un grand nombre d’étrangers, réunies dans la salle des fêtes de L'Élysée. Il faut dire que nul n’ignore dans l’assistance qui sont les auteurs de la Divine Comédie, du lied de Schubert Le Roi des Aulnes, ou du Génie du christianisme. 

 

De Gaulle souhaitait une "Europe des États", où les différents peuples pourraient « vivre et agir ensemble ». Il s'opposait à une Europe fédérale, de type “États-Unis d’Europe”, avec des institutions supranationales. Il aurait sûrement combattu le slogan « Ce qu’il faut, c’est toujours plus d’Europe », comme il l’exprimait dans une autre de ses "petites phrases" : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : l’Europe, l’Europe, l’Europe ! mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien ».

 

Où en est-on à quelques semaines des élections au Parlement européen ? La position de la France a bien évolué si l’on s’en tient aux déclarations de l’actuel président.  Depuis sept ans, et avec une rare constance, M. Emmanuel Macron parle d’une “souveraineté européenne” comme lors du Forum économique mondial à Davos au début de cette année : « Les années 2024-2025 seront celles où l'Europe sera souveraine ou non. » 

 

Expression étonnante si l’on s’en tient à la définition de la souveraineté au XVIIe siècle par un juriste français : « La souveraineté du roi n'est pas plus divisible qu'un point en géométrie ». Aujourd’hui, et selon notre constitution, « La souveraineté nationale appartient au peuple ». Comment pourrait-il y avoir une autre souveraineté ? Qu’était l’appel du 18 Juin, si ce n’était la volonté de restaurer la souveraineté française ? Plus récemment, le Brexit reposait sur le souhait des Anglais de recouvrer leur souveraineté, le "Take back control".

 

Cette “souveraineté européenne” est-elle, d’ailleurs, compatible avec les principes des « Pères fondateurs » de l’Europe ? Leur nombre varie et nous n’en retiendrons que trois : l’Allemand Konrad Adenauer (1876-1967), l’Italien Alcide De Gasperi (1881-1954) et le Français Robert Schuman (1886-1963).

 

Leurs itinéraires sont révélateurs des bouleversements qu’a connus l’Europe pendant les XIXe et XXe siècles. L’histoire se rit des frontières et des régimes politiques : ces trois républicains démocrates sont nés sujets d’empires. Celui qui deviendra en 1949 le premier chef de gouvernement (chancelier) de la République fédérale d’Allemagne est né en Rhénanie, province occidentale du Royaume de Prusse autour duquel sera créé le Deuxième Reich. Le futur président du Conseil des ministres d’Italie est né dans la région la plus septentrionale de l’Italie actuelle, qui faisait partie à l’époque de l’Empire austro-hongrois. Italien de cœur et de culture, il devra néanmoins subir la germanisation de sa région. Enfin, la famille du futur ministre français des Affaires étrangères était originaire de Lorraine, dans la partie germanophone de la Moselle devenue française à la fin du XVIIIe siècle et qui sera annexée un siècle plus tard à l’Empire allemand. Le père de Robert Schuman, qui était né français, devient donc Allemand comme son fils.

Ainsi, l’allemand sera la langue commune de ces trois hommes lorsqu’ils poseront les fondations des premières institutions européennes.

 

Mais ce qui les unissait surtout, c’était la religion catholique. Dans la construction européenne, ils vont s’inspirer de la doctrine sociale de l’Église, tout particulièrement de la notion de subsidiarité. Elle repose sur un principe simple : toute décision doit être prise au niveau le plus proche de ceux qu’elle concerne. Le traité de Rome, à l’origine de l’actuelle Union européenne, favorisait « l’autonomie la plus large possible » des États. Le principe de subsidiarité est donc une des caractéristiques des institutions européennes comme le rappelait le Français Jacques Delors, disparu récemment et qui fut président de la Commission européenne de 1985 à 1995 : « Qui dit acceptation du principe de subsidiarité dit respect du pluralisme et donc des diversités ».

 

 

“Souveraineté européenne”, réalité ou fiction ? Voilà un beau sujet pour mes quatrièmes qui travaillent cette année sur l’État et sur la souveraineté, dans l’attente d’étudier l’année prochaine la construction européenne.

 

Aubervilliers, mai 2024

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