“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)
Harry Potter, un succès planétaire pleinement justifié
À l’occasion de la dernière rentrée scolaire, le journal Le Monde a publié une tribune rédigée par des acteurs, artistes, écrivains, éditeurs, journalistes, philosophes, professeurs, psychiatres … qui s’adressait au ministre de l’Éducation nationale sous le titre : "M. Gabriel Attal, redonnez à l’écrit, dès l’école primaire, ses lettres de noblesse".
On pouvait y lire, notamment, que « […] une grande partie de nos enfants ne lisent plus et peinent à écrire. Ils peinent à écrire au sens d’articuler leur pensée et de raisonner. Nous parlons de nos enfants de 7 à 10 ans, de nos adolescents, de la génération tout-écran et bientôt intelligence artificielle. […] Nous parlons de la dégradation du niveau scolaire de l’écrit et de la lecture […] Nous ne parlons pas ici de l’orthographe. Son niveau catastrophique n’est que la partie émergée de l’iceberg. »
À dire vrai, rien de nouveau, en particulier pour les enseignants. D’ailleurs, lors de son premier mandat, le président de la République avait fait de la lecture une « grande cause nationale ». Au collège Saint-Joseph d’Aubervilliers, les dix premières minutes à la reprise des cours l’après-midi sont consacrées à la lecture.
Les chiffres sont connus et publiés sur le site du ministère (education.gouv.fr, janvier 2023) :
« À l’entrée en 6e, 27% des élèves n’ont pas le niveau attendu en français. À peine un élève sur deux sait lire un texte avec aisance et la dégradation de l’orthographe est devenue préoccupante. »
Ceci est confirmé par l’OCDE qui publie régulièrement une enquête sur les performances scolaires (classement PISA) dans près de 80 pays et qui place la France à la 24e place en lecture. Il y est même précisé que seuls « 9,2 % des élèves sont très performants en compréhension de l’écrit. À ce niveau, les élèves sont capables de comprendre de longs textes, de traiter de concepts abstraits ou contre-intuitifs et d'établir des distinctions entre les faits et les opinions. » Par voie de conséquence, cela signifie que 90% des élèves français ne sont pas capables, en lisant un texte, de distinguer si ce sont des faits ou des opinions ! Quelques mois après que notre pays ait connu des violences de la part de mineurs, on comprend qu’il s’agit d’un enjeu majeur.
Comme le souligne la psychologue, Marie-Estelle Dupont : « Un enfant au champ lexical restreint sera bien en peine pour élaborer ses émotions. Si l’enfant lit des œuvres classiques, se nourrit de héros, fait bouillonner son imaginaire, il aura les ressources intellectuelles pour canaliser et sublimer une pulsion de destruction. »
Le docteur en neuroscience Michel Desmurget affirme que « Les bienfaits de la lecture se trouvent uniquement dans les livres ». Mais qu’appelle-t-on un « livre » ? Par exemple, les mangas qui ont un tel succès, sont-ils des livres ? Tout CDI (pour ceux qui ne connaissent pas ce poétique acronyme, c’est ce que l’on appelle depuis 4.000 ans une bibliothèque !) se doit d’appâter les élèves en les informant de la présence desdits mangas. Le pass culture (pourquoi donc l’État français subventionne-t-il la culture en utilisant un mot anglais qui, comme le rappelle fort opportunément l’Académie française, vient du … français ?) sert en grande partie à acheter des mangas. La Fédération des parents d’élèves des écoles indépendantes (FPEEI) a rendu compte que, lors d’inspections réalisées à l’époque de l’éphémère ministre M. Ndiaye, des élèves devaient répondre à la question : « Pourquoi ne lisez-vous pas de mangas ? » ! Pourtant, cela fait 30 ans qu’ils sont « lus » en France et nous avons assisté, pendant la même période, à l’écroulement des capacités des élèves en lecture. Manifestement, les mangas n’ont pas contribué à renverser la tendance.
Entrons dans la Salle-sur-Demande, cette salle de classe où j’ai mis à la disposition des élèves à l’heure du déjeuner (eh oui, pas du “manger” !) mes jeux de famille et mes livres. On y trouve, entre autres, les Club des cinq d’Enid Blyton, les aventures d’Harry Potter de J.K. Rowling et les romans policiers d’Agatha Christies. Certes ce sont des auteurs anglais, mais dont les traductions révèlent toute la richesse de la langue française. Car c’est là ce que trouve la réponse à la question « que lire ? » : des mots, beaucoup de mots qui, parce qu’ils sont souvent inconnus, ouvrent la porte à la curiosité et à l’imagination.
Une dernière question, rarement posée : les parents lisent-ils ?
Je vous souhaite de bonnes lectures en famille pendant ces vacances de la Toussaint.
M. de Fraguier
P.S. Je n’ignore pas que Bayard publie des volumes intitulés L’histoire en manga, ni que BLF Éditions publie La Bible Manga. C’est comme le Canada Dry, cela se ressemble, mais ce ne sont pas les mangas dont je parle dans ce bloc-notes !
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