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Le Bloc-notes : Rien

“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)




Il ne s’agit pas ici du “rien” quelque peu condescendant utilisé en 2017 par le président de la République dans une phrase qui lui colle comme le sparadrap du capitaine Haddock : « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Il s’agit d’un autre “rien” qui « colle » à la mémoire du roi Louis XVI. Dans son journal, il nota à la date du 14 juillet 1789 : Rien. Que n’a-t-on dit et écrit pour gloser, moquer, ridiculiser ce monarque, ce moins-que-rien, incapable de voir l’histoire telle que nous la racontons aujourd’hui ! En réalité, beaucoup de bruit pour rien.

 

Une récente visite de l’hôtel (particulier) de Soubise qui abrite depuis Napoléon les Archives nationales et son musée, m’a permis d’étudier attentivement le fac-similé de ce journal que Louis XVI commença de tenir lorsqu’il devient dauphin à l’âge de 11 ans. La notice de présentation explique que « le roi y mentionne avant tout, les chasses, les audiences royales, les déplacements et les évènements qui rythment la vie de la Cour. » De ce fait, les fréquentes émeutes parisiennes qu’a connues la monarchie capétienne n’avaient pas leur place dans son journal. En revanche, Louis XVI note qu’à la suite de ce qui s’est passé le 14 à Paris, il se rend aux états généraux le 15 et à l’Hôtel de Ville de Paris le 17 juillet. Selon son habitude, il ne fait aucun autre commentaire si ce n’est qu’il revient “à pied” de la salle des Menus-Plaisirs.

 

Plus significatif, le fait que le mot “Rien”, qui figure vingt fois dans ce mois de juillet 1789, est souvent suivi d’une autre mention qui montre bien que ce “Rien” se rapporte essentiellement à la chasse et non à ce qui se passe dans le royaume. Ainsi le renvoi de Necker, ministre des Finances, qui est une des causes des émeutes, est bien noté à la date du 11 juillet, mais précédé d’un “Rien”. Enfin, toujours selon la notice des Archives nationales, c’est à la fin de chaque mois que le roi reprenait ses notes pour rédiger son journal. Qui peut affirmer qu’à la fin du mois de juillet Louis XVI n’avait pas réalisé ce qui s’était passé ? Lui qui déclarait à l’Assemblée nationale le 15 juillet : « […] Moi qui ne suis qu’un avec ma Nation […], aidez-moi à assurer le salut de l’État ; je l’attends de l’Assemblée nationale […], des représentants de mon peuple » !

 

Si l’on regarde le mois précédent, le roi mentionne bien avoir rendu visite au dauphin au château de Meudon durant les trois jours qui précèdent sa mort, le 4 juin, à l’âge de sept ans et demi. Ce sera pourtant un non-événement si l’on en croit ce qu’écrit la reine Marie-Antoinette à son frère : « À la mort de mon cher petit Dauphin, la nation n'a pas seulement eu l'air de s'en apercevoir ». Comme quoi, chacun voit midi à sa porte.

 

Dans cette période qui marque une rupture certaine dans l’histoire de nos institutions, ne faut-il retenir que le 14 juillet ? Qui se souvient aujourd’hui du 17 juin 1789 où Louis XVI écrira aussi dans son journal : “Rien” ? Pourtant, c’est ce jour-là que le tiers état se déclare Assemblée nationale ce qui marque la fin de la société d’ordres, un des deux piliers avec la monarchie de droit divin de l’Ancien Régime. Dans ses mémoires, la fille de Necker, Mme de Staël, écrit que le 17 juin était « la révolution elle-même ». Cette citation est reprise par plusieurs historiens contemporains qui font aussi de cette date le début de la Révolution (voir les références bibliographiques dans mon cours) : Jean-Christian Petitfils évoque « l’audacieuse révolution », Alexandre Maral le « coup d’État du 17 juin », Jacques de Saint Victor le « premier acte majeur de la Révolution » et Emmanuel de Waresquiel en fait même le titre d’un livre : Sept jours, 17-23 juin 1789, la France entre en révolution. Ce n’est pas rien !


M. de Fraguier, avril 2024

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