“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)
Le mur des Justes français devant le Mémorial de la Shoah à Paris
Il y a un an, la Conférence des évêques de France présentait une exposition dans ses locaux parisiens sur « Les Justes ». Cette exposition itinérante s’installe au collège Saint-Joseph d’Aubervilliers pour deux mois. Inaugurée le jeudi 30 novembre par notre évêque, entouré de représentants de la communauté juive de Seine-Saint-Denis, elle a permis aux élèves de troisième de présenter leur travail de recherche sur la genèse et la mise en œuvre de ce que les nazis ont appelé la Solution finale. Les sixièmes, de leur côté, pouvaient aborder ce sujet avec le film de Gérard Jugnot, M. Batignole, projeté au ciné-club du collège.
De quoi s’agit-il ?
À l’origine, il y a l’extermination de plus de cinq millions de Juifs par le Troisième Reich allemand pendant la Seconde Guerre mondiale, un génocide nommé la Shoah en hébreu, l’Holocauste en français.
Il s’en suivit la création de l’État d’Israël en 1948, qui décida de conserver la mémoire des victimes au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem, ainsi que d’honorer du nom de Justes ceux qui avaient caché des Juifs à travers l’Europe. Près de 28.000 Justes ont été reconnus dans le monde. Ils ont sauvé des centaines de milliers de Juifs, au risque de leur vie.
En français, un juste est celui qui observe les règles de sa religion, la demeure des justes étant le paradis. Dans la Bible hébraïque, Noé est désigné comme juste dans la Genèse pour avoir sauvé les espèces vivantes lors du Déluge. Ce nom sera par la suite attribué à des non-Juifs comme Cyrus le Grand qui mit fin à l’exil des Juifs à Babylone et permit leur retour à Jérusalem.
Dans l’évangile de saint Matthieu connu pour cette phrase de Jésus : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. », les justes sont promis à la vie éternelle pour avoir donné à manger à celui qui avait faim, visité ceux qui étaient en prison, accueilli l’étranger …
Pendant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie, plus des trois quarts des Juifs présents sur notre territoire ont échappé à la mort alors que les deux tiers des Juifs d’Europe ont été exterminés. Ceci a été rendu possible par le soutien d’une partie de la population, resté anonyme pour la plupart (je pense ici à mes grands-parents maternels cachant chez eux un couple d’amis dont la femme était juive). À ce jour, 4.206 Français ont été reconnus Justes (sources Yad Vashem), plaçant la France après la Pologne, où se trouvaient les principaux camps d’extermination nazis, et les Pays-Bas.
Parmi les portraits de Justes français présentés à Saint-Joseph, intéressons-nous à monseigneur Saliège. Archevêque de Toulouse dans le sud-ouest de la France, il s’oppose à la politique anti-juive du gouvernement de Vichy en demandant aux religieux de cacher des Juifs persécutés. En août 1942, il fait lire dans toutes les églises de son diocèse une lettre où il proclame que : « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Les étrangers sont des hommes, les étrangères sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. »
Position d’autant plus remarquable que l’Église catholique considéra pendant des siècles les Juifs comme responsables de la mise à mort de Jésus par les Romains (lire à ce sujet mon cours d’histoire intitulé « La Passion »). Il faudra attendre la réunion en concile de tous les évêques du monde au Vatican au début des années 1960 pour que l’Église « déplore les haines, les persécutions et les manifestations d’antisémitisme, qui, quels que soient leur époque et leurs auteurs, ont été dirigées contre les Juifs ». Cela sera suivi en 1986 de la première visite d’un souverain pontife à la synagogue de Rome. À cette occasion, le pape d’origine polonaise Jean-Paul II déclarera : « Vous êtes nos frères préférés et, d’une certaine manière, on pourrait dire nos frères aînés ».
Après la guerre, monseigneur Saliège fut reconnu par le général de Gaulle, chef de la France libre devenue la France combattante (lire son portrait sur histoire-en-cours.com) comme Compagnon de la Libération. Il fut élevé à la dignité de cardinal de l’Église catholique.
Que cette exposition soit une source de méditation au moment où les catholiques entrent dans la période de l’avent qui les prépare à faire mémoire de la naissance de Jésus à Noël, né et mort juif avant de ressusciter.
M. de Fraguier
Aubervilliers, le 3 décembre 2023
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