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Le Bloc-notes : "En voiture Simone"

“Il faut toujours dire ce que l’on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit.”
Charles Péguy – Notre jeunesse (1910)



Simone Veil en campagne lors des élections européennes de 1979

 

 

Popularisée dans les années 1960 par le jeu télévisé Intervilles que ne manquait pas de regarder le général de Gaulle en famille, l'expression "En voiture Simone" est aujourd’hui aussi désuète que le prénom Simone. Celui-ci avait connu son apogée il y a un siècle, lorsque naît en 1927 le quatrième enfant d’André Jacob et d’Yvonne Steinmetz, prénommé Simone. Celle-ci épousera en 1946 Antoine Veil avec un V.

 

Simone Veil, voilà une femme qu’il n’est pas besoin de présenter. Son nom reste attaché à la loi sur l’interruption volontaire de la grossesse (IVG).

 

En revanche, son homonyme et homophone, mais non homographe, Simone Weil, avec un W, est aujourd’hui autant oublié que leur prénom (même si ce dernier a connu une nouvelle jeunesse pendant les Jeux Olympiques avec la gymnaste américaine Simone Biles).

 

J’en veux pour preuve la mésaventure arrivée à des candidats au bac dans l’épreuve de philosophie qui avaient choisi le commentaire d’un texte de Simone Weil. Si l’on en croit la presse, nombreux sont ceux qui ont confondu les deux Simone ! Quelques jours auparavant, une de mes anciennes élèves me disait être prête pour l’oral du brevet où elle présentait Simone Veil. À ma question : « Laquelle ? », elle resta silencieuse (rassurez-vous, elle a eu son brevet avec la mention très bien, mais elle m’avoua qu’elle avait fait illico presto des recherches sur Simone Weil).

 

Il n’est pas dans mon intention d’épiloguer sur cette confusion (ces élèves auraient peut-être dû disserter sur : l’erreur est-elle humaine ?), mais de m’interroger sur les raisons de la notoriété dont jouit Simone Veil.

 

Pourquoi ne retenir d’elle que la loi sur l’IVG en oubliant qu’elle fut la première femme élue président (c’est elle qui tenait au masculin) du Parlement européen ?

 

Est-elle d’ailleurs à l’origine de cette loi ? Non.


En décembre 1973, le gouvernement de Pierre Messmer, sous la présidence de Georges Pompidou (se reporter au bloc-notes : In memoriam), présente devant l’Assemblée nationale un projet de loi faisant de l’avortement, qui était condamné pénalement, un acte médical autorisé sous condition. Ce sont donc les ministres de la Justice, Jean Taittinger, et de la Santé, Michel Poniatowski, qui le défendent. Après deux jours de débats, une majorité de députés décident que le texte ne sera pas soumis au vote, mais renvoyé devant la commission des Affaires sociales. Un an plus tard, la dépénalisation de l’avortement sera adoptée par cette même assemblée, la Ve législature (1973-1978). Que s’est-il passé ? Entre-temps Georges Pompidou est mort en fonction et Valéry Giscard d’Estaing lui a succédé. Ce dernier va utiliser toute son autorité sur les partis qui le soutiennent pour faire adopter ce projet avec le concours de l’opposition.


Cependant, il y a bien continuité entre les deux projets comme le souligne le rapporteur en 1974 : « Il faut ajouter que votre Commission était particulièrement bien préparée à la discussion du projet de loi par l'intense travail de réflexion et d'information auquel elle s'est livrée pendant le deuxième semestre de l'année 1973. » Simone Veil, elle-même, le rappellera dans son discours à l’Assemblée : « Si le Gouvernement peut aujourd'hui vous présenter un tel projet, c'est […] parce que le gouvernement de M. Messmer avait pris la responsabilité de vous soumettre un projet novateur et courageux. Chacun d'entre nous garde en mémoire la très remarquable et émouvante présentation qu'en avait faite M. Jean Taittinger. » Rendons à César, ce qui est à César.


L’avortement était-il un combat personnel pour Simone Veil ? Non.


Seule femme ministre du gouvernement Chirac (les autres femmes sont secrétaires d’État) avec le portefeuille de la Santé, c’est à elle seule que le président confie ce dossier, le ministre de la Justice, Jean Lecanuet, ayant refusé de le défendre pour des raisons personnelles et politiques. Ce que l’on appelle à tort la loi Veil est en fait la loi Giscard d’Estaing, de même qu’il n’y a pas de loi Badinter pour l’abolition de la peine de mort, mais une loi Mitterrand, pas plus qu’il n’y a de loi Taubira pour le “mariage pour tous”, mais une loi Hollande. Sous la Ve République, les lois que l’on appelle « sociétales » sont à l’initiative du président de la République.  D’autre part, Simone Veil ne cachait pas ses réserves sur l’IVG : « Je défendrai ce texte, dit-elle devant l’Assemblée, au nom du Gouvernement, sans arrière-pensée, et avec toute ma conviction, mais il est vrai que personne ne peut éprouver une satisfaction profonde à défendre un tel texte — le meilleur possible à mon avis — sur un tel sujet : personne n'a jamais contesté, et le ministre de la Santé moins que quiconque, que l'avortement soit un échec quand il n'est pas un drame. » Dont acte !


Ainsi, il ne faut pas confondre Simone Veil avec la passionaria Gisèle Halimi, même si les deux femmes ont été statufiées au nom de la sororité pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques. Simone Veil était magistrate de formation et de métier, marquée à vie pour avoir été déportée en camp de concentration où une partie de sa famille fut exterminée. Elle a laissé d’elle une image de grande dignité. On l’aurait difficilement imaginée aller se trémousser en dansant et en chantant pour fêter l’inscription de l’IVG dans la Constitution, elle qui déclarait, toujours devant l’Assemblée nationale, « L’avortement est toujours un drame. Aucune femme n’y recourt de gaîté de cœur ».


M. de Fraguier


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